Crédit photo : 123 rf - Yarruta
Cet article a été initialement publié en Anglais en Juin 2020 sur le site de PPI Network.
Vous avez sûrement entendu parler du Syndrome de l'Imposteur. Ce phénomène a été décrit pour la première fois en 1978 par les psychologues cliniques Patricia Clance et Suzanne Imes. Il s'agit du sentiment durable de ne pas avoir la légitimité et la compétence requises pour exercer son poste. Ce ressenti est accompagné d’un sentiment d’imposture et de l’impression que, d’un moment à l’autre, ce manque de légitimité sera démasqué.
Son modus operandi est un cycle négatif qui a tendance à se renforcer :
- les sentiments d’imposture provoquent des stratégies d’évitement,
- les résultats négatifs confirment le manque de légitimité (car les résultats positifs sont attribués à des facteurs externes tels que la chance ou le réseau),
- ce qui provoque un manque de confiance en soi et, inévitablement,
- une augmentation des sentiments d’imposture.
Des promotions intervenues très tôt dans ma carrière professionnelle, et sûrement un certain manque de confiance en moi, m’ont donné ce compagnon de route, l’Œil Intransigeant. J’ai appris à le connaître et à apprivoiser au fil des années. J’ai essayé, bien entendu, de le comprendre, d’identifier ce qui le rendait plus fort. Ce fut un voyage, initialement personnel, que j’ai poursuivi professionnellement auprès d’autres femmes que j’ai accompagnées en tant que manager et puis en tant que coach.
Voici quelques-uns des apprentissages de ce voyage. Initialement constaté chez les femmes, aujourd’hui on sait que le Syndrome de l’Imposteur touche approximativement 70% des personnes à un moment ou un autre de leur carrière.[1] Les causes sont multiples et varient selon les personnes. Elles sont parfois lointaines et concernent la construction de la confiance en soi.
Le discours dominant
Dans cet article, je voudrai vous parler d’une cause en particulier qui renforce le Syndrome de l’Imposteur des femmes en entreprise : le discours dominant.
Pourquoi, me direz-vous ? En quoi ces discours, et quels discours, peuvent influencer la vision de mes propres compétences ? Voici en quoi : le monde corporatif a été essentiellement construit sur des valeurs masculines du leadership. Ces valeurs, telles que la compétition, l’audace, la force, ont façonné notre vision dans l’entreprise. Elles ont conditionné la façon dont on aborde les défis et la résolution des problèmes. Les valeurs féminines du leadership ont une voix minoritaire et, souvent, un espace restreint pour leur expression.
Lorsque les femmes sont porteuses de ces valeurs, les incarnent dans leurs pratiques, dans leur approche de la résolution des problèmes, elles reçoivent un regard « d’inadéquation » de l’environnement teinté des valeurs dominantes.
Je vous donne un exemple qui parlera sûrement à beaucoup de femmes : un projet de transformation digitale dans un grand groupe international aux valeurs masculines ancrées, des fortes pressions pour un déploiement rapide et efficace.
Dans cette filiale, éloignée du siège, où règne une structure en silos, avec un esprit presque féodal sur chacun des sites, une des Directrices du CODIR alerte sur le risque humain. Elle recommande une stratégie qui prenne le temps et mette les moyens sur le changement culturel requis pour cette transformation qui requiert un fonctionnement transversal entre les sites. Changement quoi ? Les membres du Comité de Pilotage la regardent avec des yeux exorbités. Leur réaction : « Non, on veut un changement immédiat, les gens n’auront pas le choix, ils s’habitueront. »
Je ne vous apprends rien si je vous dis que le projet a été un désastre. Mais ce qui m’intéresse ici c’est le ressenti de cette Directrice affrontant le regard des autres comme si elle venait d’une autre planète. Beaucoup d’entre vous, lectrices (ainsi que des lecteurs porteurs de valeurs féminines), se reconnaîtront dans cette solitude étrange. Cette Directrice avait juste une autre vision des choses, plus orientée sur les valeurs féminines du leadership telles que l’écoute, la patience, l’empathie, avec une même préoccupation en tête, le succès de la transformation programmée.
Les valeurs de leadership féminin sont fondamentales pour réussir
Oui, c’est souvent l’expérience des femmes. Et pourtant, ces valeurs féminines du leadership, sont fondamentales pour atteindre le succès dans un monde VUCA (initiales en Anglais de Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu). Plus que jamais, nous avons besoin de coopération, de confiance, d’écoute, de flexibilité, d’honnêteté, d’empathie, etc… Nous en avons fait la douloureuse expérience récemment lors de la plus grande crise sanitaire que le monde n’ait jamais connue. Ces valeurs ont été déterminantes d’efficacité dans la lutte contre la pandémie. Elles sont des accélérateurs de performance, facteurs d’agilité et mobilisatrice de TOUS les talents.
C’est un des postulats des auteurs américains John Gerzema et Michael D’Antonio présenté dans leur livre The Athena Doctrine[2]. Selon les auteurs, certaines des qualités clés pour le succès des organisations seront : la capacité à connecter, l’humilité, la transparence, la confiance, la vulnérabilité.
L’importance et l’impact de ces valeurs est démontrée par de nombreuses études[3] ainsi que par les Neurosciences[4]. Le premier facteur de performance des équipes est la sécurité psychologique ressentie par ses membres. Celle-ci est la perception d’évoluer dans un environnement bienveillant et de confiance qui ne représente pas de risques dans l’interaction entre ses membres. Par exemple, la perception que mes idées ne seront pas dévalorisées, que les interactions se feront dans la transparence, que je ne vais pas être mis au placard en raison d’un échec, etc.
Les valeurs féminines du leadership sont fondamentales dans la création d’un environnement de sécurité psychologique. Il est ironique de constater que, faute de sécurité psychologique, les femmes n’ont pas réussi à mettre en avant, de façon suffisamment déterminante, les valeurs de leadership capables de créer cette condition essentielle à la performance.
Qu’est-ce que les femmes font alors ? De façon très schématique :
- soit elles s’adaptent à des valeurs dominantes de leadership et sont souvent jugées durement par leur environnement [5]
- soit elles préfèrent rester à des nouveaux inférieurs de management où elles peuvent continuer à exercer un style non dominant[6]
Le discours dominant, mettant en avant surtout des valeurs masculines, est ainsi un facteur contribuant à renforcer le plafond de verre mais aussi un frein à la performance de l’entreprise qui « gaspille » 50% de son potentiel de leadership avec des valeurs complémentaires des modèles existants.
Il est temps de libérer un autre style leadership
Il est temps de libérer un autre style leadership, intégrant le meilleur de deux mondes, un leadership qui parle de sécurité psychologique et de diversité. Un leadership qui, dans un monde VUCA, permette aux organisations d’affronter les challenges de son temps et d’utiliser les potentiels en présence.
Beaucoup d’entreprises le savent. Pour certains groupes, les objectifs de parité sont considérés comme des objectifs stratégiques et non comme des sujets exclusivement de Ressources Humaines ou de Responsabilité Sociale.
Mon message aux valeurs féminines : Osez-vous montrer !! Osons défendre la valeur ajoutée de notre approche, de notre style de leadership. Prenons conscience que les messages d’inadéquation sont le résultat d’une culture traditionnelle ancrée mais qui a tout à gagner à se remettre en question et à promouvoir la complémentarité.
Mon message aux valeurs masculines : Observez !! Faites une pause. Ayez la curiosité d’explorer les possibilités d’une façon différente de voir les choses. Osez la flexibilité pour exister ou reculer en fonction du contexte. La recherche de complémentarité vous ouvrira un monde de possibles.
À nous tous : Cultivons la magie de la diversité !
[1] Hibberd, Jessamy. The Imposter Cure. Jessamy Hibberd, 2019. [2] John Gerzema, Michael D'Antonio. 2013. The Athena doctrine : how women (and the men who think like them) will rule the future. Jossey-Bass. A Wiley Imprint. Édition du Kindle. [3] Une d’entre elles est l’étude issue du Projet Aristotes méné par Google en 2012. [4] Voir l’étude menée par le Docteur Paul Zak et illustrée dans son livre Trust Factor : The Science of Creating High-Performance Companies [5] À ce sujet, voir le livre de Sheryl Sandberg, Lean In sur le jugement social porté sur les femmes qui affichent des valeurs masculines du leadership. [6] À ce sujet, voir l’entretien fait à Isabelle Lenarduzzi, Présidente de Jump https://www.youtube.com/watch?v=aWhJn05qEIM&list=PLY-alI5t6P0F004a4NzNTb-XXltp9ucEp&index=8
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